publié le 24/06/2025 Par Mikaël Faujour
Le 21 juin 2020, la Convention citoyenne pour le climat remettait son rapport à Élisabeth Borne, alors ministre de l'Écologie, après neuf mois de travaux. Censée renforcer la légitimité du président Macron, l'expérience a surtout démontré le caractère antidémocratique de son camp politique et, par-delà tout cynisme, sa bêtise même. Retour sur une leçon politique de premier ordre de ce début de XXIe siècle en France.
Le 25 avril 2019, alors que le mouvement des gilets jaunes ne s'était pas encore tout à fait éteint, le président Emmanuel Macron annonce avoir l'intention de convoquer une Convention citoyenne pour le climat (CCC). Il donne suite à une lettre ouverte parue trois mois plus tôt, qui demandait « la mise en place d'une assemblée citoyenne tirée au sort, représentative de la société, chargée de faire des propositions donnant lieu à un référendum à choix multiples ». Quelques mois plus tard, en juillet, le Premier ministre Édouard Philippe adresse au Conseil économique, social et environnemental (CESE) une lettre qui en fixe le cadre :
« Elle aura pour mission de définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport à 1990 (1). Aux termes de ces travaux, elle adressera publiquement au Gouvernement et au Président de la République un rapport faisant état de ses discussions ainsi que l'ensemble des mesures législatives et réglementaires qu'elle aura jugées nécessaires pour atteindre l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle pourra désigner, parmi les mesures législatives, celles dont elle jugerait qu'elles soient soumises à un référendum. »
Le processus de mise en place conduit à la désignation, par tirage au sort, de 150 citoyens, après que « le comité de gouvernance a choisi un certain nombre de critères qui permette de s'assurer d'avoir une représentation descriptive de la France, donc d'avoir un peu plus de femmes que d'hommes, 25 % de non-diplômés, d'avoir des agriculteurs... pour avoir cette diversité de la population française », comme que le résume Julien Blanchet , vice-président du CESE et vice-rapporteur de la CCC.
Et, en effet, l'aréopage compte 51 % de femmes et 49 % d'hommes (2), des retraités, des lycéens, des agriculteurs, 26 % de personnes sans diplôme et autant avec un diplôme équivalent ou supérieur au bac, etc. À ce titre, l'effort de constituer un « échantillon représentatif » contraste prodigieusement avec une soi-disant « représentation nationale » où seuls 4,5 % des députés sont des employés et 0,9 % des ouvriers - contre 16,1 % et 12,1 % de la population active.
Encadrée par le CESE, l'activité de la convention débute en octobre et cinq groupes de travail sont constitués : « Se nourrir » (alimentation et agriculture), « Se loger » (habitat et logement), « Travailler et produire » (emploi et industrie), « Se déplacer » (aménagement et transports) et « Consommer » (modes de vie et de consommation).
Au total, les membres de la convention se retrouvent durant 21 journées, soit un total de sept sessions, étalées sur neuf mois. Universitaires chercheurs, représentants d'entreprises, de syndicats, d'ONG, d'administrations et d'institutions publiques, d'associations, mais aussi des économistes, des juristes : les nombreux intervenants (environ 140), de tous horizons, ont exposé leurs expériences et connaissances et apporté leurs éclairages pour une approche la plus globale possible des problématiques intriquées qui entrent dans l'enjeu environnemental.
Un exercice de démocratie
L'expérience peut, à tort et à raison, inspirer diverses réserves. Pourtant, la Convention citoyenne pour le climat offre l'exemple d'un cadre qui a permis à un ensemble de citoyens ordinaires majoritairement peu familiarisés avec la complexité des enjeux écologiques d'accéder à un entendement tel qu'ils ont conçu un ensemble de 149 propositions pensées voulues d'intérêt général.
Loin de l'habituel refrain des éditocrates sur un peuple mû par ses « passions » et inapte à se gouverner, c'est bien l'exercice de la raison fondée dans l'examen des faits qui a conduit l'assemblée à produire un programme tirant davantage vers la décroissance que la soi-disant « croissance verte » ou du « développement durable » de la sphère médiatico-politique.
Si beaucoup croient encore que la démocratie se caractérise par les élections de représentants (à ce titre, la Russie de Vladimir Poutine ou le Nicaragua de Daniel Ortega en seraient donc...), c'est d'avoir oublié que les philosophes politiques - notamment libéraux - du XVIIIe siècle distinguaient bien la législature par représentation de la démocratie, chacune étant la négation de l'autre. C'est d'ailleurs, sans grande surprise, l'argument de la légitimité du scrutin qu'ont avancé, en se pinçant le nez, les médiocres de la République en marché, et plus généralement des élus hostiles à toute autre modalité de démocratie. Ainsi, l'arriviste-qui-n'est-jamais-arrivé, François Bayrou, déplorait-il en janvier 2021 :
« On invente des comités tirés au sort dont on ne connaît pas les membres, dont on ne connaît pas les idées. Et on les met sur le même pied que la représentation nationale parlementaire. Mais vous voyez bien qu'il y a là un déséquilibre incroyable. »
Or, par-delà les imperfections de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), c'est bien une leçon de démocratie qu'il faut en tirer. D'abord, par la modalité du tirage au sort des membres, qui évite l'ignoble kermesse de corruption, de démagogie et de carriérisme qu'encouragent les élections, les partis et la vie parlementaire actuelle. Ensuite, par la constitution même de cet aréopage, voulue représentatif, soustrait à l'ingénierie institutionnelle et au système électoral qui n'attirent que les (pseudo) « intelligents », les diplômés, les « winners » de la parole publique et de la compétition scolaire - brefs : des « notables », à droite comme à gauche (patrons et avocats d'un côté ; diplômés, militants d'ONG ou professeurs de l'autre...).
Or, la trop grande homogénéité socioprofessionnelle et culturelle des assemblées est la meilleure garantie d'une politique au service d'une bourgeoisie qui se perçoit détentrice - et donc prescriptrice - de l'intérêt commun, faute de contradiction de classe.
Le processus même de consultation, d'auditions, de délibérations, et l'accompagnement de ce processus par des « facilitateurs » expérimentés a mis en évidence les conditions fondamentales de toute démocratie :
-1. le temps long de la recherche et de l'examen, du débat et de la proposition, qui exigent un rythme lent incompatible avec l'économie financière ;
-2. la confrontation de points de vue d'une diversité au diapason de la diversité sociale, afin de produire de mesures de l'ordre du bien commun soustraites à tout calcul électoraliste, partidaire et parlementaire (pas de négociations minables d'alliances de circonstances pour une majorité de raccrocs, mais un effort de tendre à l'unanimité) ;
-3. par les auditions et la recherche de la vérité pour fonder la décision, le cadre de la CCC illustre comment la juste ingénierie institutionnelle démocratique sollicite et élève l'intelligence des individus et donc du collectif.
Perfectible, comme toute institution démocratique, la Convention citoyenne pour le climat offre moins l'exemple d'un accomplissement parachevé qu'un socle, un point de départ pour ce que devrait être une démocratie. Elle montre aussi combien est fondamental l'accès à une information de qualité, solide, factuelle et soustrait à la mainmise des pirates de la finance, à la parole délétère des idéologues, autant qu'aux intérêts labiles des détenteurs du pouvoir d'État. Et le fait que les participants n'avaient aucun siège à renouveler, aucune complaisance à manifester ni à des électeurs ni à des lobbyistes n'y est sans doute pas pour rien.
L'ignorance au pouvoir
À la remise du rapport final, Emmanuel Macron, fanfaron égal à lui-même, déclare péremptoirement que l'ensemble des propositions sera soumis au Parlement ou à référendum - à l'exception de trois jokers. En l'occurrence :
- la réécriture du préambule de la Constitution pour y indiquer que « la conciliation des droits, libertés et principes ne saurait compromettre la préservation de l'environnement, patrimoine commun de l'humanité », car cela « menace de placer la protection de l'environnement au-dessus des libertés publiques. Ce serait contraire à notre texte constitutionnel, à l'esprit de nos valeurs » ;
- la proposition de limiter la vitesse sur autoroute à 110 km/h, refus qui se comprend aisément alors que le mouvement des gilets jaunes a démarré en réaction à la réduction de la vitesse de 90 à 80 km/h sur les routes nationales ;
- la taxation à 4 % des dividendes des entreprises supérieures à 10 millions d'euros pour « participer à l'effort de financement collectif de la transition écologique » : le garant de toujours de l'intérêt des riches justifie ce refus en avançant qu'une telle mesure « réduir[ait] notre chance d'attirer des investissements supplémentaires ».
Illustration de plus de l'inconséquence d'un homme sans parole, ce dont témoigne plus d'une décennie d'exercice du pouvoir, au final, très peu de mesures ont accédé à l'examen au Parlement et aucune au référendum. On peut se contenter de considérer que la Convention citoyenne pour le climat n'a été qu'un gadget, comme le « Grand débat national » et ses cahiers de doléances - autre témoignage d'intelligence politique collective.
Mais une autre hypothèse mérite d'être avancée au sujet de ces initiatives lancées pour apaiser la colère paroxystique manifestée lors du mouvement des Gilets jaunes et supposément « répondre à la double demande de plus de participation et de plus d'écologie exprimée par les Français » (3). Car, si le « Grand débat » s'est résumé, comme le formulaient avec ironie ses opposants à l'époque, à un « cause toujours », la Convention montre quelque chose d'autre qu'un banal cynisme ou le sempiternel mépris dont Emmanuel Macron est un champion.
Ce quelque chose pourrait être un mélange de naïveté effarante, de bêtise et d'épaisse ignorance - ou tout à la fois. Car il fallait au moins cela pour donner mandat - et les moyens - de travailler à la réduction des émissions de gaz à effet de serre sans même soupçonner que la seule et logique issue d'une telle initiative conduirait à des propositions qui invalident et contredisent de part en part toute l'idéologie dont il est l'ambassadeur.
C'est une part de la tragédie politique où nous sommes : le peuple des citoyens gouvernés ne soupçonne pas assez que les gouvernants ne sont pas mus seulement par le cynisme et le carriérisme, la corruption et l'entre-soi - mais que, à bien des égards, ils sont aussi bêtes, ignorants et incompétents. C'est une des grandes convictions incapacitantes que celle qui consiste à croire certains mieux dotés intellectuellement pour décider du sort de la société et qu'il conviendrait, en somme, d'opter pour des dirigeants plus « gentils » ou « attentifs » au peuple...
Notes
(1) « Entre 1990 et 2019, la France a diminué ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20 % », lit-on sur le site Notre-environnement.gouv.fr. Si, certes, cela peut apparaître comme un progrès - et placer moins haut la marche à atteindre -, c'est à la condition de ne pas tenir compte du rôle qu'ont joué les délocalisations de sites de production dans le cadre de la désindustrialisation qui frappe le pays, ni donc, a fortiori, sur la délocalisation ou « externalisation » des pollutions, qui n'ont pas disparu, mais seulement été transférées vers les pays où se trouvent désormais les chaînes de production... Ce qui implique aussi que le mode de vie lui-même, consumériste, productiviste, libre-échangiste, mondialiste, croissantiste, bref capitaliste, n'a souffert aucune remise en question.
(2) Contre environ 39 % de femmes et 61 % d'hommes à l'Assemblée nationale lors de la mandature 2017-2022.
(3) Lettre de mission d'Édouard Philippe, 2 juillet 2019.
Photo d'ouverture : L'ancien Premier ministre français Édouard Philippe prononce le discours d'ouverture lors de la « Convention Citoyenne pour le Climat » qui se tient au Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) à Paris, le 4 octobre 2019. (Photo par Ian LANGSDON / POOL / AFP)